Le samedi 17 avril 2010

Un petit train au crochet

Charlotte est contente. Elle est en vacances et a prévu de se balader à Paname. Elle composte son ticket, emprunte le souterrain et remonte sur le quai n°2 comme indiqué sur le panneau d'affichage (des horaires, des destinations et des quais).
Elle monte dans le RER prévu à 9h30, destination la capitale et ouvre son livre. Sa sœur lui a dit de monter dans le wagon de queue pour être au plus près du bus qui la mènera chez elle, dans le 12ème arrondissement.

Un train s'arrête sur le quai d'en face et la voix féminine qui sort du haut parleur, sur le quai, annonce que le train de prend pas de voyageur; tout le monde est prié de descendre. Les lumières s'éteignent, signe que ce train ne prendra effectivement pas de voyageurs.

Sans autre avertissement, la sonnerie retentit, les portes se ferment, le train, dans lequel Charlotte s'est installée, démarre et les lumières s'éteignent. Assise dans le dernier wagon, elle n'a pas pu voir les quelques passagers descendre du train en catastrophe. ça y est, le piège s'est refermé. Charlotte est dans un train qui ne prend pas de voyageurs, lumières éteintes, portes closes.

Elle ne sait pas où il l'emmène et commence à flipper. Le cœur de Charlotte s'emballe. Calme toi, respire et cela va passer se dit-elle.

1er réflexe : essayer d'ouvrir les portes en appuyant désespérément sur le bouton. Elles sont bloquées. Peut-être que le conducteur va se rendre compte qu'une personne est dans le train mais visiblement ce n'est pas le cas. Ou alors, il fait la sourde oreille. Elle ne sait pas, elle n'est pas une spécialiste des trains même si enfant, elle espérait devenir conductrice à la SNCF (c'est con, elle est devenue Thérèse !)

2ème réflexe : Vérifier si elle est seule dans le wagon, rapide coup d'œil, elle est bien seule.

3ème réflexe : Où sont les toilettes ? Si le train dépasse Paname et l'emmène loin, elle va flipper encore plus, peut-être mourir parce que son cœur bat de plus en plus vite et qu'il va exploser. Peut-être aussi qu'elle va se liquéfier et se vider parce que Charlotte, elle a les intestins fragiles. Ouf, les toilettes sont là et accessibles même s'il n'y a pas de p.cul.

Le train roule doucement comme un bon RER et ralentit à l'approche de chaque gare mais ne s'arrête pas, laissant sur les quais les passagers qui attendent le train suivant.
Plusieurs fois, elle voit des agents de la SNCF. Elles les reconnait à cause du gilet fluorescent qu'ils portent et du drapeau dans leur main. Charlotte leur fait signe mais ils ne regardent pas dans sa direction.
Charlotte se dit qu'elle va tirer le signal d'alarme mais hésite ; elle n'est pas en situation de danger. Elle va se ramasser une amende salée. Elle est simplement dans un train où elle ne devrait pas se trouver. Et Charlotte est trop bien élevée pour tirer le signal d'alarme, faire stopper un train au beau milieu de 2 gares.

Le voyage lui semble long : le train emprunte des voies qu'elle ne reconnaît pas, probablement des voies parallèles pour ne pas gêner le trafic des autres trains qui eux, sont remplis de passagers. Il passe dans une zone de lavage des trains. Là aussi, elle aperçoit des employés mais ils ne la voient pas. Le train longe maintenant un mur où court des barbelés.

Elle imagine que le RER ne va jamais s'arrêter, qu'elle va se retrouver à Lille. Milles histoires lui passent par la tête. Son cerveau fonctionne à 10000 pensées/minute.

Pour une fois, Charlotte a pris son portable. Il est chargé. Elle a des unités pour appeler. Mais qui? Sa sœur parce qu'elle ne voudrait pas qu'elle s'inquiète si elle reste coincée dans un souterrain non éclairé quelque part au milieu de nul part.
Elle a du mal à parler tellement elle est effrayée.Elle a du mal à trouver ses mots et n'a plus de salive. Soeurette tente de la rassurer.
Un appel à la SNCF tombe à l'eau : c'est un répondeur de merde et visiblement, ça peut durer longtemps. Et puis la SNCF, elle n'a pas prévu la touche n° 79 pour le cas où tu es coincée dans le train fantôme.

Enfin le train ralentit et s'immobilise au milieu des voies. Le voyage a été court : 30 mn au lieu des 45mn habituellement. Charlotte reconnait le bruit du train qui relâche la pression, du moins croit-elle le reconnaître.
Les portes ne s'ouvrent toujours pas. Alors Charlotte, au bout de quelques instants, tire sur le signal d'alarme. Les portes semblent se débloquer et s'ouvrir de quelques centimètres. Charlotte écartent avec vigueur les portes qui enfin la libèrent.

Il n'y a pas de quai ni d'un côté ni de l'autre du train.De quel côté descendre ? Elle aperçoit au loin, un panneau indiquant Paris-Bercy. Charlotte pense que le train pourrait repartir alors elle descend de celui-ci, le cul sur les marches pour ne pas se casser la figure (c'est haut un train quand il n'a pas de quai !).
Elle cherche le conducteur du train mais ne le voit pas. Pourtant, il a bien du quitter le train . Il a probablement emprunté un passage connu de lui seul.

Charlotte a toujours le cœur qui bat la chamade. Vite, rappeler sa sœur pour la rassurer : le train s'est enfin arrêté et elle n'est pas très loin de chez elle. Elle va même gagner deux stations de bus... si elle ne meurt pas écrabouillée par un TGV.
Alors, Charlotte regarde bien à droite et à gauche avant de traverser chaque voie. Elle ne compte pas le nombre de voies, trop préoccupée à ne pas se faire foutre en l'air par un TGV.
Au bureau, on dirait : "elle avait l'air stressée, fatiguée ces derniers temps, mais quand même aller se jeter sous un train, on aurait pas cru ..."
D'ailleurs, elle se dit que ce n'est pas une bonne façon de se flinguer : trop douloureux et quelle boucherie ! Il y a des moyens moins violent, très certainement.

Charlotte rejoint enfin la terre ferme et remonte en direction d'une fin de quai. Ouf, elle est arrivée vivante. Elle respire.

Charlotte se relâche et maudit la SNCF pour son manque d'information à la gare de départ. Elle l'injurie pour ne pas avoir fait le tour du train et s'assurer que tous les voyageurs soient descendus.Elle l'insulte parce qu'elle aurait pu mourir dans le wagon , que si elle avait été handicapée ou âgée, c'était la même chose. Elle gueule contre la SNCF qui depuis que les usagers (du service public) sont devenus des clients (d'une société commerciale), elle en a strictement rien foutre des personnes qu'elle transporte sauf sur les grandes lignes, et encore...


Les psy en tout genre s'accordent à dire que c'est important de mettre des mots sur des faits, pour éviter les traumatismes. Alors voilà, Charlotte le fait aujourd'hui.
Depuis cet épisode malheureux, Charlotte a dû reprendre la train et , elle a pu vérifier ce qu'elle disait à ses proches : jamais le message n'avait été diffusé dans le train mais bien à l'extérieur, sur le quai. Dans le dernier train qu'elle a pris, elle a clairement entendu dans le train, l'annonce de tous les arrêts dans les gares.

Après cette aventure, elle a repensé à un petit train, crocheté il y a 8 ans, pour son neveu. Le voici, pour vous.



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