Le vendredi 5 mars 2010

Thérèse - définition

1) Thérèse c’est le bac + 3, un diplôme d’état jamais reconnu à ce niveau par nos hommes politiques de droite comme de gauche (au fait, c’est quoi être un homme de gauche ? De droite, pas la peine de m’expliquer, je sais). Tout ça parce que tu ne fais pas ta formation à l’université comme dans les autres pays européens. Deuxième raison avancée ; tu fais des stages professionnels pendant ta formation (encore heureux !). Et c’est marrant, car il y a des tas d’études en fac où les étudiants font des stages mais là par miracle, les stages comptent comme du temps d’études universitaires.

Dans le fonds, être une Thérèse, c’est, selon les gens qui réfléchissent dans les ministères, savoir écouter la merde des autres (assez rapidement quand même aujourd’hui) et avoir un bon carnet d’adresses ! C’est bien suffisant. D’ailleurs, depuis peu, c’est un diplôme que tu peux préparer en apprentissage. C’est tout dire. Faut pas chercher à comprendre sauf que quand l’état ne veut pas reconnaître à sa juste valeur un métier, il fait le sourdingue. Vous connaissez la différence entre une dictature et une démocratie (à la française) ? La dictature c’est « ferme ta gueule ». La démocratie c’est « cause toujours » et ça, c’est justement ce qui rend fou.

2) Du coup, pas reconnu, tu es mal payé mais faut pas trop demander... quand tu as la foi, tu n’es pas censé exercer un métier pour de l’argent. Tu fais don de ta personne. Voyons, c’est un sacerdoce, une vocation. Depuis quand tu veux gagner des sous ?

3) C’est un boulot où tu dois être à l’écoute des gens, être dans l’empathie, garder de la distance, évaluer les situations personnelles et collectives, orienter, accompagner les usagers, faire avec eux (et non pas pour eux, sinon tu te plantes à tous les coups) et bla, bla, bla...et bla, bla, bla... des écoles de formations. Sur le terrain, tu vas vite comprendre le fossé, le gouffre, l’abîme entre la théorie et la dure réalité du travail mais l’école ne le sait pas... les formateurs ne sont plus sur le terrain depuis des années ! Et j’oubliais le plus important : l’école arrive à te convaincre que tu vas t’éclater dans ton boulot. Une vraie secte. Tu finis par être convaincu que chez toute personne, même la plus déglinguée, la plus carencée, la plus malade, tu vas pouvoir trouver quelque chose en elle pour la tirer de sa situation archi-compliquée, que toute personne à quelque chose à t’apporter et cela, quelque soit le lieu où tu bosses. Tu es en capacité de tout guérir, colmater, résoudre. Tu es la super Nanny du social ! Résultat, tu arrives sur ton premier poste gonflée à bloc, quelquefois avec un sentiment de toute puissance.

4) ...et dans la vraie vie, tu reçois des gens dans la merde la plus noire. Tu n’as pas toujours le temps de les écouter car il faut faire très vite (la salle d’attente est pleine, la « cadre » fait des tableaux avec les statistiques que tu lui fournies toutes les semaines, minute tes rendez-vous, surveille tes allées et venues, relis et signes tous tes écrits parce que tu sais bien que tu écris que des conneries ...). Tu remplis des tonnes de paperasses, tu saisis à l’informatique, tu fiches les gens. Puis, tu réponds aux usagers que t’as pas de solutions car le boulot, t’en a pas pour eux, le pôle emploi non plus d’ailleurs. Un logement ce n’est pas toi qui décide de l’attribuer. Les sous pour empêcher une coupure de jus ou une expulsion, ce n’est pas toi qui les détiens donc tu feras la pute auprès de divers organismes pour monter un « plan de financement cohérent ». Pour cela, il te faudra expliquer à chaque organisme que tu sollicites à qui d’autres tu vas demander des ronds et tout ça en priant qu’il n’y en ait pas un qui refuse sinon ton plan tombe à l’eau ; dans ce cas t’es dans la merde et la famille encore plus que toi. Calculette greffée dans la main, tu es censé leur apprendre à gérer leur budget riquiqui dont le montant est équivalant à la plus petite somme d’argent de poche jamais perçue par le fils d’un PDG résidant à Neuilly. Tu les fais entrer dans des dispositifs bidons car tu dois impérativement les faire entrer dans des petites cases prévues à cet effet, des trucs d’attente style stage de re-mobilisation, d’insertion, de remise à niveau, de bilan de compétences...ça permet de ne plus les comptabiliser demandeurs d’emploi (et la télé annonce ainsi que le chômage baisse !) ; ça ne leur donnera pas un vrai boulot qui leur permette de vivre dignement (c'est-à-dire manger cinq fruits et légumes par jour, se loger, s’habiller, s’occuper de ses enfants, se soigner).

5) Tu as toutes les chances de te faire agresser verbalement, c’est certain et fréquent. Tu as aussi une chance de te faire agresser physiquement par la mère de famille au bout du rouleau ou un père excédé, en tous cas beaucoup plus de chances que de gagner au loto. Ainsi, je me suis retrouvée, enfermée avec un monsieur délirant dans un bureau d'une maison de quartier. Mes collègues croyaient que j’étais partie déjeuner. J’ai du parlementer une heure pour qu’il me laisse sortir. Plus tard, je me suis fait braquée par un malade avec un flingue. Dans les deux cas, aucun employeur ne m’a proposé d’aide. Dans le deuxième cas, mon chef ne m’a même pas reçue. (Il était à la piscine). Je suis revenue bosser le lendemain, sinon je crois que j’aurai démissionné.

6) C’est un job où tu as le droit de faire du travail collectif ; c’est moderne, à la mode et bien vu. Il te faudra présenter un projet, le défendre et le faire « valider » par tous tes chefs. Et si tu as un accord, alors tu le mettras en pratique avec trois sous. Tout juste si tu ne vas pas payer avec tes deniers personnels les tickets de train pour emmener un groupe de femmes à Paname, leur apprendre à circuler par les transports en commun. Mais attention dès il y a surcroît de travail (et c’est quotidien), tu es sommée d’abandonner immédiatement ton travail collectif pour reprendre la prise en charge individuelle (trouver des sous pour payer les factures, rechercher un foyer, éviter une expulsion, protéger une femme battue, une mineure isolée et enceinte...).

7) C’est un job où tu vas connaître les permanences d’accueil, d’urgence, de quartier... et les réunions : de service (hebdomadaire), de pôle (mensuelle), de territoire (trimestrielle), d’information, de synthèse (moment délicieux où le secret professionnel s’envole au nom du « partage de l’information pour mieux comprendre la situation »), partenariale, d’étude de situation, de supervision, de crise... Bref, cela s’appelle la réunionite aiguë et c’est une grave maladie.

8) Lot de consolation : il n’y a presque pas de chômage dans cette profession. Plus, c’est la merde économique et la misère, plus tu as du boulot (mais plus t’en chies). Faut quand même être un peu malade pour choisir ce job.

La suite, vendredi prochain.

(J'aurai voulu mettre ici un dessin d'une A. S. explosée, burn-out-ée mais j'ai pas trouvé).

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